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leil visite avec joie ! Chacun d’eux, en regardant son sauvage compagnon, se disait à part soi : J’aurais tout cela si j’étais seul ! Et alors leurs regards se tournaient féroces et impitoyables contre le pauvre être dont la naissance avait encore resserré une chaîne détestée. Du moins, ils le croyaient ainsi ; car quelle femme assez robuste pour boire sans sourciller des litres d’eau-de-vie, et pour recevoir sans en être ébranlée des coups qui auraient terrassé un lutteur, pouvait remplacer pour Capitaine l’athlétique Adolphina ; et, quant à elle, quel homme lui eût fait oublier son charmant clown à cravate rose ?

Déjà Minette avait cette petite toux sèche, si effrayante quand on l’a déjà entendue, et qui retentit dans le cœur de ceux qui l’écoutent. Souvent, dans le foyer, les jambes et le col nus, vêtue en ange ou en amour, elle avait des quintes si terribles qu’elle semblait prête à rendre l’âme. Le sang affluait à son visage, ses yeux se fermaient, et elle pouvait à peine se soutenir. Alors sa mère lui criait :

— Veux-tu te taire, méchante drôlesse !

Elle la prenait par la main, la faisait sortir du foyer en la bousculant, et l’emmenait dans sa loge. Dès qu’elles étaient sorties, on frissonnait en entendant dans le couloir les menaces d’Adolphina et les pleurs étouffés de l’enfant. Capitaine, costumé en diable ou en grenouille, avec sa tête sous les bras, ne faisait aucune attention à cet épisode et continuait à fredonner quelque romance sentimentale. Si quelqu’un de ses camarades lui faisait remarquer les cruautés d’Adolphina : — Bah ! disait-il, ce sont leurs affaires ! Je n’entends rien aux questions de pot-au-feu, je suis un artiste !

Pourtant les souffrances de Minette, ce martyre de