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core toute récente alors, étaient un objet de grande curiosité ; tout le monde s’empressait autour de la comédienne pour admirer ce portrait et pour tâcher d’en obtenir une épreuve. Minette qui, bien entendu, n’osait rien demander, mais qui ouvrait tout grands ses beaux yeux bleus, fut la première favorisée et faillit devenir folle de joie.

Le sachet qu’elle portait à son cou pour ne jamais le quitter, fut pour elle un véritable talisman. De même que dans les féeries elle voyait madame Paul, armée de sa baguette de diamant et couronnée de resplendissantes étoiles, terrasser les démons, rapporter la lumière au milieu des nuits funèbres et changer les voûtes infernales en paysages du paradis ; de même elle s’imagina que cette bonne fée la sauverait de tous les périls, et ferait briller enfin d’une clarté pure sa vie maintenant voilée par tant de ténèbres. Elle avait attaché avec des épingles, sur le papier de la pauvre chambre qu’elle habitait avec son père et sa mère, le portrait dont elle faisait une idole ; et quand par hasard on lui donnait quelques fleurs, elle en parait cette chère image. C’est devant elle qu’elle élevait son âme dans les rêveries qui étaient pour elle la prière, puisqu’elle ne savait aucune prière. C’est aussi devant cette image qu’elle passait de longues heures à broder, entre les répétitions et le spectacle.

En effet, Adolphina et Capitaine avaient bien vite pensé que cette enfant de leur haine ne leur rapportait pas encore assez d’argent, et qu’il fallait lui faire apprendre un métier. D’abord elle ne jouait pas dans toutes les pièces ; puis sa mémoire lui permettait de dépenser très-peu de temps à étudier ses rôles. Justement, il y avait dans la maison une madame Lefèvre, entrepreneuse de broderies, dont le mari, monteur en bronze, avait pris Minette