laisser se prolonger un rêve agréable ; mais le domestique entra.
— Monsieur… dit-il.
— Va-t’en au diable ! s’écria le directeur avec une voix si bourrue que le valet s’enfuit épouvanté.
Puis, se retournant vers Adolphina :
— Cela me va parfaitement, dit-il, aux conditions que tu sais. Demain on répète la féerie au théâtre ; amène-la dès demain, et tâche qu’elle sache son petit rôle par cœur. Surtout ne bats plus ce pauvre petit ange, tu la tuerais !
— Bon, répondit Adolphina en emmenant sa fille, j’en ai reçu bien d’autres, et ça ne m’a pas empêché de grandir.
Tels furent les simples événements à la suite desquels Minette se trouva remplir un petit rôle de génie pendant les nombreuses répétitions d’un mélodrame fantastique, sans savoir ce que c’était que le théâtre, dont elle n’avait jamais entendu parler d’une manière qui fût compréhensible pour elle. Habituée qu’elle était par ses rêveries et par son livre à se figurer que toute existence humaine avait deux côtés bien distincts, l’un hideux comme ce qu’elle voyait chez sa mère, l’autre merveilleux comme les aventures qui occupaient toute sa pensée, elle ne s’étonna pas du tout d’entendre des hommes et des femmes en habit de ville s’appeler entre eux prince et princesse, ni de voir des nymphes des fontaines en manches à gigots et des génies du feu en polonaise verte. De même elle trouva tout naturel d’entendre parler de forêts magiques, de palais célestes et de torrents enchantés parmi de vieux châssis poudreux couverts de toile peinte ; car elle se doutait bien qu’un jour la lumière inonderait ce monde enfoui dans l’obscurité et dans la poussière, et en ferait un monde de