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soirée, mais en lui infligeant un travail au-dessus de ses forces. De plus, elle devait préparer le souper de ses parents avec les provisions qu’on lui laissait, et se remettre ensuite à l’ouvrage. Mais elle avait bien vite expédié toute cette besogne avec ses doigts de fée, et elle pouvait revenir à son cher livre, qui lui racontait les aventures merveilleuses.

Elle lisait déjà si couramment et si bien que Capitaine avait arrêté là ses leçons, seule éducation que dût jamais recevoir Minette. Un jour, pour la première fois depuis longtemps, sa mère la lava et la peigna avec soin, lui mit du linge blanc, une petite robe neuve et un fichu de laine bleue qu’elle avait apportés du dehors, et ayant fait elle-même une toilette aussi soignée que le lui permettaient ses habitudes de désordre, dit à Minette :

— Prends ton livre, tu vas venir avec moi.

L’enfant ne savait que penser, mais suivit aussitôt Adolphina avec son obéissance accoutumée. Comme elle n’avait jamais passé la rue de la Tour, où ses plus longues courses consistaient à aller chez le boulanger, chez le charbonnier ou chez la fruitière, elle se sentit toute joyeuse en respirant l’air dans la rue des Fossés-du-Temple, où le boulevard envoyait quelques parfums de fleurs et de printemps, car on était en juin. Pendant la route, qui dura trois ou quatre minutes à peine, elle se demandait où la conduisait sa mère, lorsque celle-ci s’arrêta devant un grand bâtiment percé de nombreuses fenêtres et d’une petite porte au-dessus de laquelle on lisait en grosses lettres : Entrée des artistes. C’était le théâtre de la Gaîté.

— Entrons, dit Adolphina, c’est ici.

Puis, entraînant toujours l’enfant après elle, elle monta l’escalier, traversa les couloirs, la scène obscure, d’au-