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dans les coulisses de la Gaîté, le regard est tout à fait perdu dans l’infini, la bouche pâle et triste est éclairée par un sourire qui ne la quittera plus, même au delà de cette vie, les cheveux trop fins volent au souffle de la brise comme des fils de la Vierge, les mains amaigries et transparentes semblent vouloir saisir les palmes vertes du paradis.

Est-il besoin de dire quelle inguérissable tristesse s’empara de cette enfant délicate et frêle, glacée d’effroi dès que ses yeux s’ouvrirent, dès qu’elle commença à entendre et à comprendre, car elle n’entendit que des cris et des menaces et ne vit que des scènes de violence. Abandonnée sur un méchant berceau garni de haillons indescriptibles, elle s’était tout de suite habituée à serrer contre son corps ses pauvres petits membres quand le froid la saisissait, car elle avait bien vite compris que personne ne viendrait la couvrir ; quand elle avait faim, elle se taisait, car elle savait qu’en le disant elle exciterait la colère de son père et de sa mère, et ferait redoubler ces cris qui la faisaient frémir. Pendant les six heures à peu près que durait le spectacle, la petite Minette restait sans lumière, toujours couchée dans son berceau défait, et frissonnant sous sa chemise de grosse toile qui lui déchirait la peau. Alors, une fois qu’elle avait entendu le double grincement de la clef qui l’enfermait, déchirée par le froid et la faim, enveloppée par la nuit noire, l’enfant se sentait élevée par les ailes du rêve, car c’est une grâce que Dieu ne refuse jamais aux créatures complètement malheureuses, de leur ouvrir la porte d’or qui mène aux paradis invisibles. Elle voyait des choses dont rien n’avait pu lui donner l’idée dans le triste galetas dont elle n’était pas sortie, des feuilles, des fontaines, de grands paysages pleins de fleurs, où passaient