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mais quand on a vu Thérèse partir en chasse avec l’œil bouillant de courroux, Thérèse agitant, comme une menace et comme un défi, le cabas de paille qu’elle emporte toujours vide et qu’elle rapporte toujours plein, on peut juger qu’elle ne s’en va pas à des combats pour rire ! A-t-elle un charme pour magnétiser les pièces d’or comme on a cru que les serpents magnétisaient les oiseaux, ou bien, comme l’aurait pensé Théodore Hoffmann, est-ce le diable lui-même qui les lui donne dans quelque bouge obscur, rue de la Limace ?

Quoi qu’il en soit, il y a trente ans, mille ans peut-être ! que Thérèse trouve de l’argent, et elle n’a jamais eu d’argent. Elle ne veut pas en avoir, elle dédaigne l’argent, elle dédaigne la vie, et se hait elle-même ; elle ne vit plus que par une passion sauvage, celle de l’Incarnation, par laquelle Vautrin se voyait revivre sous les traits charmants de Lucien de Rubempré. Elle devient la ressource, l’âme et la vie même des courtisanes désespérées ; elle leur insuffle sa volonté et leur infuse son sang.

À la voix de Thérèse, le boulanger, le boucher et l’épicier sont rentrés dans le devoir ; des meubles de palissandre, des robes de soie et une vaisselle neuve ont paru par enchantement ; mais la courtisane a un maître, comme si elle avait signé un pacte avec son sang.

Elle n’a plus le droit de vouloir ni de penser, ni de rêver. Cruelles amours, et vous caprices divins, fermez vos ailes ! il faut obéir à Thérèse. Cette Marco échevelée qui menait hier la gentry à coups de cravache, aujourd’hui, voyez-la au balcon des Italiens ! Avant de répondre a un regard ardent, elle lève timidement les yeux vers Thérèse pour savoir si Thérèse lui permet d’être touchée et de sentir brûler ses veines. Un soir elle s’est échappée ; la voilà à demi couchée sur un lit de repos ; à côté d’elle,