Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/209

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ténèbres de la mort ! Mais un livre calme et spirituel, à lire les pieds sur les chenets, n’attendez pas cela de nous, madame, qui avons trop souffert et aussi trop espéré.

— Cher enfant, me dit la marquise, je ne vous demande pas un chef-d’œuvre, hélas ! C’est à peine si on en écrivait pour moi, du temps que Lancret peignait ce portrait où j’étais représentée en Diane demi-nue, avec mes lévriers couleur de rose ! Ce que je vous demande, c’est une double bonne action à faire, quelque jeune homme savant et pauvre à sauver de la misère. Peut-être existe-t-il (et s’il existe, vous devez le connaître), un jeune poëte, grand et modeste, vaincu par l’envie ou par la misère, et qui consentirait à être le secrétaire d’une vieille femme qui n’a pas de lettres à écrire ! En un mot, mon enfant, voilà ma dernière folie, je voudrais un secrétaire, assez instruit pour me parler de mes poëtes et de mes grandes dames comme s’il les avait connus. Je suis encore très-riche, et peut-être, pardonnez-moi cette dernière ambition, peut-être les ombrages et les fontaines de ce parc abandonné pourraient-ils encore donner à la France un poëte, auquel, moi, j’aurais donné d’abord cette médiocrité dorée que vous aimez, avec le calme, l’indépendance et la charmante oisiveté des retraites silencieuses.

Chercher la pierre philosophale aurait été plus court que de trouver ce jeune homme savant et modeste, et toutefois j’avais promis à la marquise de soulever, comme Asmodée, les toits de toutes les mansardes pour lui trouver ce livre vivant.

Peine inutile, comme vous pensez bien ! mais une fois, en voiture avec Jodelet, je songeai à ces promesses, et comme je vous le disais, ce fut un éclair de génie. Lui seul peut-