ceaux ; tout fier d’avoir conquis la première œuvre du grand artiste, il convoitait déjà ses œuvres futures, et ne craignait rien tant que de les voir s’en aller en fumée. On accabla Margueritte d’invitations, d’avances d’argent, on voulut le convertir à la vie de château, peines inutiles ! M. Silveira proposa à l’artiste de lui faire obtenir un travail de décoration dans une église ; il mit sur son chemin vingt femmes très-désirables ; rien n’y fit, désormais la vie de Margueritte s’appelait Céliane. Cet homme, qui avait été grand une heure, marchait devant lui, échevelé, hébété, ne mangeant plus et se traînant de café en café pour y vider stupidement des carafons d’eau-de-vie. Comme tant d’autres, il demanda l’engourdissement à cette affreuse liqueur, et se laissa tout entier dévorer par elle. Mais, comme tous les malheureux qui se livrent à la sorcière blonde, il sentit bientôt son palais se blaser et ne le réveilla plus qu’en le déchirant avec des breuvages sans nom. L’eau-de-vie de l’estaminet et de la brasserie lui paraissait fade ; il lui fallait cet alcool au goût de poivre que le marchand de vins débite dans des verres qui peuvent tomber du cinquième étage sans se casser. Parfois, attablé dans une brasserie devant un flacon d’eau-de-vie avec deux ou trois camarades, Margueritte, sous un prétexte, les quittait, laissant son verre à demi plein, et traversait la rue pour aller boire du trois-six sur le comptoir d’un liquoriste. À ces tristes excès il demandait, ai-je dit, l’engourdissement ; oui, seulement cela, et non l’oubli ; heureux s’il eût pu oublier Céliane ; mais les femmes de cette trempe n’abandonnent jamais leur proie, et ces créatures aux appétits fauves ne manquent pas de revenir de loin en loin donner un coup de dent acérée dans la chair saignante. Ainsi faisait la juive, tombant du
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