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sortis pour me mettre en quête des secours spirituels et matériels que réclamaient ses derniers moments. La nuit alors était presque venue. Sur l’escalier, j’entendis à quelques marches au-dessous de moi une voix éraillée qui fredonnait la dernière chanson de Nadaud, avec d’ignobles fioritures.

Je fermai les yeux, mais trop tard ; aux dernières lueurs du crépuscule, j’avais entrevu un béret de velours bleu, une cravate rouge, une face pâle comme le masque de Boswell. Cette vision, c’était Raphaël, sans doute. Je me collai au mur pour le laisser passer, retenant mon souffle, et je ne rouvris pas les yeux avant que je n’eusse entendu se refermer la porte d’Hébé Caristi.

Une demi-heure ne s’était pas écoulée quand je revins de nouveau. Le prêtre et le médecin montèrent, et je les attendis en bas, dans la voiture. Au bout de quelques minutes, le médecin redescendit seul. Hébé Caristi était morte. Le docteur Crestié est pour moi un vieil ami ; je le chargeai de prendre toutes les dispositions nécessaires et de rompre, si cela était encore possible, l’odieux marché signé au bord d’une fosse ouverte ; mais je n’eus pas la force de rentrer dans la chambre où s’était accompli ce pacte de sang. Bien des fois depuis, j’ai reconnu en rêve le pâle visage que j’avais entrevu ce jour-là dans l’escalier de la rue de Venise, et voilà pourquoi je suis invulnérable ; car, si quelque danger trop attrayant me sollicite, je songe toujours à cette ignoble figure sous laquelle m’est apparu le démon infâme de la Perversité. »

Quand Martirio eut ainsi raconté l’histoire de celle qui a été, en même temps que madame Saqui, la déesse de la corde raide, nous demeurâmes plongés dans une sorte de stupeur. Rosier surtout paraissait très-bouleversé.