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vie parisienne, je l’ai entendu faire à la fin d’un souper, par Martirio, une femme étrange, qui a voulu rester écuyère au Cirque après avoir signé ses belles compositions musicales. Il était d’ailleurs écouté religieusement, comme une page d’histoire mise en œuvre sans charlatanisme. Très-sympathiquement belle avec ses yeux bruns, son visage doré et ses cheveux noirs ondés, si fins et si doux, auxquels de très-rares fils d’argent donnent un attrait mélancolique ; sage d’ailleurs comme la déesse Vesta, dans un théâtre de chevaux et de clowns, l’Espagnole Martirio est une de ces figures attachantes et originales que Paris adore.

— « Vous vous rappelez, dit-elle, la singulière exhibition de madame Saqui, faite l’année dernière à l’Hippodrome. Le directeur du Cirque avait peur d’être distancé ; il voulut trouver une attraction encore plus grande, et il la trouva. M. Arnault avait évoqué madame Saqui et son Ascension au mont Saint-Bernard, M. Dejean ressuscita le Siège de Saragosse avec Hébé Caristi, âgée de soixante-treize ans.

» L’annonce seule de son arrivée causa chez nous une profonde surprise, car nous l’avions crue morte depuis un siècle. Mais comment vous rendre l’impression abominable que je sentis lorsqu’elle parut ? Je vis une Carabosse tout exiguë, tellement racornie et rapetissée par l’âge qu’on aurait voulu la remettre dans sa boîte ! Sur sa peau parcheminée et recroquevillée, les rides formaient une série de dessins et de labyrinthes inextricables ; ses yeux encore vifs, mais éraillés et dépourvus de cils, disparaissaient sous de rudes sourcils en forêt, qui repoussaient blancs sous leur teinture prétentieuse. Mais sa parure ! Oh ! qui dira l’effet de ses faux cheveux tellement noirs et lisses, et de ses fausses dents, blanches