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Il n’y avait pas à en douter, c’était monsieur Loisy, le marchand de draps d’Elbeuf ; j’avais reconnu la coupe extraordinaire de sa barbe ; cependant je roulais, éperdue et subtilisée, à travers les abîmes d’extase, aussi étonnée que si un ânier du village voisin avait inventé l’Iliade !

Je m’endormis enfin, et quand je me réveillai, j’étais seule. Au matin, je ne partis pas, parce que mon mari, inquiet, était accouru, et nous restâmes quelques jours de plus chez madame Phanner. Naturellement je revis le marchand de draps, et, croyez-le bien, je n’eus pas du tout l’idée de lui crier : Je vous aime, ni de recommencer avec lui ces heures uniques de ma vie, pendant lesquelles j’ai été femme ! Plus que jamais, je le vis quelconque, impersonnel, pas plus fait pour devenir un amant qu’un sultan des Turcs. D’ailleurs, il ignorait complètement sa bonne fortune et son crime, croyait n’avoir outragé que mademoiselle Eulalie, comme il en avait coutume, et ne savait pas du tout qu’il m’avait fait subir ainsi les dernières délices. Qui a bu boira, ma chère Louise ; vous le devinez, de nouveau j’ai voulu effeuiller les marguerites avec des hommes beaux, adorés et charmants ; c’est comme si j’avais chanté : Femme insensible ! De nouveau j’étais devenue de marbre et de pierre et de glace, et je