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me couchai à la place qu’elle venait d’abandonner. Il fut convenu que, pour ne pas trop inquiéter mon mari, je partirais au petit lever du jour ; aussi laissai-je la clef sur la porte de ma chambre, afin qu’on pût m’éveiller sans faire de bruit, ni troubler personne.

Mais le sommeil effleurait à peine mon front et mes paupières lorsque j’entendis la clef tourner dans la serrure, et quelqu’un entra. Je me tus, je n’appelai pas, je ne dis rien : par quels sentiments compliqués et mystérieux ? Quelle secrète pensée me conseilla le silence ? Fut-ce l’horreur du bruit et du tumulte, ou la vague terreur qui vous force à rester immobile, ou une lancinante curiosité, que je ne m’avouai pas ? Quoi qu’il en soit, je me sentis bientôt saisie et pressée entre deux bras robustes, baisée sur le front, sur les cheveux, sur les lèvres, sur le visage, et alors, ô mon amie, comme si se fût déchiré le voile qui me cachait la vie et tout, je les connus, ces spasmes, ces sanglots, ces frémissements, ces plaisirs inouïs, ces sensations de ravissement vertigineux et mortel que j’avais si souvent rêvés et entendu raconter, comme le Petit Poucet et Peau d’Âne, mais que je ne connaissais pas davantage. Quel flamboyant Archange m’ouvrait ainsi les portes de diamant des paradis d’étoiles et de fleurs ?