Page:Banville - Les Belles Poupées, 1888.djvu/32

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se passa en jeux, en promenades, en musique. J’avais bien promis à monsieur Joannon de rentrer à Compiègne le soir même ; toutefois, quand les invités se furent retirés chez eux, je restai un assez long temps à causer avec Laure, car nous avions à échanger de nombreuses confidences. Il était déjà fort tard lorsque ma voiture fut attelée, mais j’ai toujours aimé à voyager la nuit, et d’ailleurs il faisait clair de lune.

Cependant les nuages s’amoncelèrent ; bientôt les arbres furent tordus par un ouragan furieux, et, au moment où j’allais partir, le ciel s’alluma de soudains éclairs. Bientôt la pluie tomba avec furie ; on n’eût pas mis un poète dehors, à plus forte raison une jolie femme, et je fus bien forcée de rester à Vignolles. Mais ici une difficulté se présentait ; le château était bondé, toutes les chambres étaient prises. Laure m’offrit bien de partager la sienne ; mais je n’acceptai pas, sachant que mon amie a, la nuit, des crises d’étouffement, et pensant qu’il lui aurait déplu de se montrer à moi dans le désordre que produisent ces cruelles souffrances. Il fallut faire contre fortune bon cœur. On fit lever une lingère, mademoiselle Eulalie, qui était venue travailler en journées au château ; on mit à son lit des draps blancs ; une femme de chambre emmena cette exilée avec elle, et je