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compagnie. J’étais allée passer une journée chez Laure, où se trouvaient réunis force gens amusants et illustres, et, pour tout dire en un mot, la fine fleur, le dessus du panier de la société parisienne. Cette élite de seigneurs, de brillants officiers, de poètes et d’artistes n’était déparée que par une exception unique ; mais l’homme qui faisait tache parmi ces héros de la vie avait pour lui une excuse : c’est qu’il était le propre cousin de Laure Phanner. C’était un fabricant de draps d’Elbeuf, pas jeune du tout et pas encore vieux, ordinaire, honnêtement vêtu, chez qui la vulgarité n’était pas poussée à ce degré d’exaspération où elle devient intéressante. Il n’avait même pas le mérite de s’appeler Dupont ou Durand, ce qui constitue une sorte d’originalité à rebours, à laquelle des Esseintes peut n’être pas insensible. Il se nommait simplement Loisy, et il aurait ressemblé à tout le monde, si son visage n’eût été orné d’une de ces barbes en collier dont l’usage fut souverain en même temps que le roi Louis-Philippe, et dont la mode surannée, à l’époque dont je vous parle, s’était déjà restreinte à quelques rares cochers de fiacre. Je n’ai pas à vous dire l’impression que monsieur Loisy produisit sur moi ; il n’en produisit aucune ; il était quelconque, et ne mérite pas d’autre appréciation. La journée