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que vous m’avez dits, il me semble que vous n’avez pas su prendre un parti dans la grande question d’Être ou de ne pas Être, et que vous n’êtes, au bout du compte, ni chair ni poisson !

— Oh ! dit Cécile, je ne sais ce que je suis, et c’est bien ce qui fait ma peine. Mais, mon amie, je vais m’acquitter en hâte avec les événements, pour arriver le plus vite possible à ce qu’on pourrait appeler : le Cas de madame Joannon !

— Oh ! dit madame Orélia impatiente, parlez, parlez vite ! Je flaire déjà quelque bonne Chimère, avec une poitrine de chèvre et des griffes d’oiseau !

— Quand je fis mon entrée dans le monde, dit Cécile, jolie, je puis le dire à présent, avec beaucoup de cheveux châtains et de petites dents solides, qui auraient pu me servir à me suspendre en l’air sous un ballon, et pas plus bête qu’un autre, monsieur Joannon, qui occupait une haute charge, était un vieux libertin, ayant besoin en amour de piments et de picrates que ne fournit communément aucune femme légitime. Aussi me laissa-t-il pour compte, en m’accordant d’ailleurs une pleine et entière liberté, dont je ne savais que faire. Car mon cœur imitait de Conrart le silence prudent, et mes ignorances étaient si profondes et si nombreuses, que j’ai le droit d’en parler au pluriel.