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mouvement, une impression, l’expression d’une tête, et à faire des croquis justes, aussi rapides que l’instant qui fuit. Je me suis beaucoup adonné à cet exercice dans les rues, tout en étudiant assidûment les chefs-d’œuvre de Daumier. Puis, saisi par la rage de la création, je suis allé plus loin. Je me suis dressé à fixer seulement l’image dans mon cerveau et, rentré chez moi, à la recopier fidèlement, soit en la dessinant au crayon ou au pastel, soit en la modelant, toute vive, dans l’argile. Mais il me restait à subir l’épreuve suprême, la plus difficile de toutes, et voici en quoi elle consiste. En rencontrant, aux Champs-Élysées, par exemple, une passante digne de m’intéresser, j’avais soin d’interroger ses traits, et je notais fidèlement dans mon esprit l’histoire qu’ils m’avaient racontée. Puis, quand, l’ébauchoir à la main, j’avais reproduit l’image de cette passante, je l’interrogeais à son tour, et si son récit ne concordait pas exactement avec le premier, s’il y avait quoi que ce fût de changé, une circonstance, une image, une métaphore, une épithète, fût-ce une simple virgule, mon ouvrage n’était pas bon, je fracassais la maquette molle, et je recommençais ! Mais bientôt, je travaillais à coup sûr, lisant les âmes aussi aisément qu’un journal du matin. C’est ainsi,