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absolue sincérité, et ces mêmes traits vous raconteront fidèlement tout, son histoire, sa vie et son âme, que vous comprendrez, pourvu que vous n’ayez pas la tête obstruée par des lieux communs et des idées toutes faites. Supposez que, sans l’avoir jamais vu auparavant, vous ayez rencontré Gambetta. Son visage ne vous aurait-il pas raconté sa vie, ses luttes, sa passion d’orateur ? Est-ce que l’œil endiablé et le nez envolé de Coquelin ne disent pas tout le grand répertoire, y compris L’Étourdi, avec le grand récit du cinquième acte, dont un bon observateur, en regardant la bouche éloquente de ce comédien, pourrait deviner les rimes ? Interroger humblement et résolument le visage humain, il n’y a jamais eu que cette seule manière de se procurer ce qu’on nomme aujourd’hui : des documents, et Gavarni et Balzac n’en ont jamais connu d’autre. Car les femmes de chambre mentent, les petites demoiselles qui vous confient leurs souvenirs les ont lus dans de mauvais romans ; mais des yeux, un nez, une bouche sont forcés de dire la vérité si on la leur demande. Les plans et les lignes sont obligés à la sincérité, et le visage même de la Joconde est forcé de dire : Je mens ! Oui, tout visage parle d’autant mieux et plus nettement qu’il parle sans rien dire, et c’est à ce