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— Oui, répondis-je, d’une extrême simplicité.

— Eh bien ! reprit le vieillard, j’en ai depuis vingt-cinq louis.

— Mon Dieu ! fis-je avec modestie, je voulais acheter une poupée pour l’enfant adoptée par ma portière, pour la petite Nine, dont le caraco fait dans la cour de ma maison une si belle tache écarlate, et je pensais y mettre une bonne pièce de trois francs.

— En principe, me dit Chanderlos, vous avez raison, et une poupée de trois francs vaut toutes les autres poupées, car elle tire son importance de l’illusion qu’elle procure et de l’amour qu’elle éveille. Et à ce point de vue, si vous voulez savoir toute ma pensée, je vous dirai que la catau grossièrement fagotée par une fillette, avec des chiffons et des bouts de linge quelconques, suffit parfaitement à faire naître et à entretenir chez le petit être la passion maternelle. Mais ici, monsieur, il s’agit d’autre chose ; je suis un artiste, et les figures que je crée sont, en réalité, non pas des poupées, mais des personnes. Approchez-vous et regardez leurs visages, vous les reconnaîtrez ; c’est des effigies d’êtres vivants, comme ces portraits d’après lesquels un Michelet devinait toute une histoire, la genèse d’un personnage illustre et