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désespérant presque de traduire, telle qu’il l’imagine, la pure et sereine Beauté. Mais il se sent guéri, retrempé, calmé comme par un flot rafraîchissant, rien qu’en voyant entrer sa chère et fidèle femme Émilie.

Belle et tout éclairée par l’amour, vêtue d’un peignoir blanc, ses épais et touffus cheveux noirs relevés sur son front étroit, et les yeux pleins de douceur, de fierté, de maternelle tendresse, elle tient à la main la tasse blanche et mince comme une coquille d’œuf, dans laquelle elle a versé pour son ouvrier bien-aimé le café brûlant, d’où s’exhale un arôme précieux et divin. Ce café, elle en a choisi un à un les grains verts, qu’elle a mélangés dans une proportion savante ; elle les a brûlés elle-même, avec un soin minutieux, de façon qu’ils ne noircissent pas et restent délicieusement blonds. Puis elle a moulu les grains ; de ses belles mains élégantes elle a versé, lentement et à des intervalles fidèlement observés, l’eau très pure et limpide bouillie sur une flamme brillante ; elle a mis au fond de la tasse, avant d’y jeter la noire liqueur, un morceau de sucre réel, obtenu à l’aide des plus patientes ruses.

Et maintenant elle apporte à son ami ce breuvage que désireraient en vain tous les rois, mais qui est digne de récompenser la veille extasiée du poète, dont les pensées s’envoleront dans le monde entier, comme des oiseaux de joie et de lumière.