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d’haleines, et par la fumée épaisse des noires cheminées. Cependant elle s’y décide enfin, et à travers la nuée montre un peu le bout de son nez rose. Tandis que, traînés par des fantômes de rosses, quelques fiacres roulent encore péniblement, voici sur le boulevard une escouade de balayeurs, hideux, terreux, couverts de boue, et travaillant les premiers dans cette grande galère où tout à l’heure tout le monde travaillera, même et surtout les gens qui ne font rien. Un groupe de jeunes êtres mâles et femelles sortent de la Maison-d’Or. Ils marchent un moment avant de monter en voiture, parce qu’ils ont la prétention de respirer un peu l’air, et quel air ! La gracieuse Clérice, qui est avec eux, avise une jeune balayeuse en mouchoir, en mangon, en tricot de laine, gaunée dans un tas de guenilles grossières, mais d’une beauté inouïe avec de grands yeux bleus, et blanche comme une étoile.

— « Tiens, regarde donc, dit-elle à voix haute en la montrant au petit Cursol ; ça se permet d’avoir un visage ! »

La balayeuse a interrompu son travail, et les deux mains appuyées sur son outil, dans une pose pleine de noblesse :

— « Tu sais, toi, dit-elle à Clérice, quand chacune de nous aura repris sa vraie place, moi je serai très bien catin. Mais toi, faudra voir comme tu balayeras ! »