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ché, leurs mains se rencontrent, se pressent avec une force inconnue, et sous la commotion électrique, sentant tous les deux à la fois leur sang refluer vers leurs cœurs, tandis que le ruisseau élève tout à coup sa voix murmurante, et que le parfum des arbres en fleur les enveloppe de sa molle et délirante ivresse, les deux enfants éperdus croient qu’ils vont mourir.


XVI. — L’ÉTÉ

Bien abritée de l’ardent soleil sous son ombrelle écarlate, madame Céline Rion marche au bord du grand champ d’épis qui sous le vent ondule comme une mer, élevant et abaissant ses vagues d’or incendiées par la chaude lumière. Dans le brillant orgueil de sa jeunesse triomphante, la promeneuse ravie est l’image même de la force heureuse. Derrière elle, dans le petit sentier, marchent ses deux filles, Jeanne et Marie, babillant, riant, cueillant des fleurettes, et ses deux fils, les lycéens Henri et Jacques, déjà sérieux, et son mari, ce vaillant capitaine de zouaves qui a la gaieté et la folie de la bravoure. Madame Céline Rion est blonde comme ces blés qui sont à elle, et qu’elle regarde tranquillement avec ses fauves yeux tout piqués d’étoiles d’or. Elle est grande et s’avance avec une grâce souveraine. La santé éclate sur son visage aux traits farouches et charmants ; et,