Page:Banville - La Lanterne magique, 1883.djvu/25

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sauf les larges bottes à entonnoir des cochers, qui apparaissent toutes noires dans la gloire triomphale de l’universel embrasement.


III. — MADAME LA LUNE

Pâle et grasse, et montrant des traits charmants, assez pareils à ceux du divin Théophile Gautier, madame la Lune, à demi couchée en arc dans une barque en ébène, ornée de plaques d’étain, de plomb et de cuivre jaune et d’incrustations de nacre et d’argent, avec une proue et une poupe très relevées, se promène sur le lac du Bourget, entourée des derniers poètes lunaires, chimériques petits-fils des bousingots et des Jeunes-France. Aussi extraordinaires que s’ils se promenaient sur le boulevard en habit d’Arlequins, ces lyriques blêmes sont rigoureusement vêtus à la mode de dix-huit cent trente, et il y en a même deux ou trois qui portent des bottes à glands et des manteaux où le vent s’engouffre !

Ils se recueillent en des poses fatales, et vaguement parmi eux apparaissent, avec des manches à gigots et des bandeaux moyen âge, quelques dames de la même époque, minces comme des saules, s’efforçant un peu d’avoir lieu, mais évidemment reléguées, par la nature même des choses, dans la flottante pénombre des rêves.

Au contraire, leur céleste Maîtresse, qui n’est restée