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mant et imbécile, — par la toute-puissance de l’esprit il l’a transformé, il en a fait un valet gentilhomme, svelte, élégant, songeur, caressant, railleur, aimé des femmes, spirituel, malin comme une nonne, gracieux, plus poétique désormais que le Gille de Watteau, et laissant flotter sur son corps divinement aristocratique une souquenille aux plis de marbre, cannelée par les mains hautaines de la Fantaisie !


34. — ROSA BONHEUR

Regardez-la, et vous serez convaincus à jamais qu’une Abstraction peut vivre, car cet être au vaste front pensif, à la face large et puissante, aux grands yeux, au nez osseux, à la bouche ferme et grave, au cou robuste, à la massive chevelure d’homme séparée sur le côté, vêtu d’un gilet fermé et d’un petit paletot à boutons qui tombe droit, que nulle ondulation ne tourmente, et dont les manches s’ouvrent sur des mains un peu carrées comme celles du statuaire, n’a rien de mâle ni de féminin. Il n’est que l’Artiste, une pensée qui se nourrit de la nature, se l’assimile, la crée à nouveau, et, tout entière à cette chaste volupté, se renouvelle en ces laborieux et nobles enfantements pour lesquels le monde spirituel embrasse et pénètre le monde visible. Les œuvres palpitantes de vie sont sa progéniture, comme