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que Locuste ; ces cuisiniers, raffinés comme Thyeste ; ces voleurs, ces incendiaires, ces faussaires, toute cette famille plus chargée d’horreurs, de crimes et d’incestes que celle des Atrides ! Et voyez que ces êtres ne sont nullement effrayants, et qu’ils ressemblent à des fonctionnaires d’une très petite ville, allant rendre leurs visites.

— En effet, dit Remary. C’est qu’ils possèdent comme nous le libre arbitre, et que n’ayant été assiégés ni par la faim, ni par la misère, ni par les passions dévorantes, ils n’ont eu à soutenir aucune lutte, et ils ont embrassé la carrière du meurtre froidement, comme on entre dans un bureau. Pour être sinistres, il leur manque la pourpre, le remords, la bravoure et l’inévitable colère des Dieux. C’est comme des cabotins dépourvus de talent et de mémoire, qui jouent une tragédie héroïque en habits bourgeois, et — sans avoir fait leurs têtes ! »


CXVI. — L’ILE ENCHANTÉE

Enivrés par la vue des marbres et des ombrages, vêtus de satins, et assis avec leurs amantes près du morne fleuve transparent, les amants pâles, accablés sous l’extase, oublient les caresses et les baisers, et savourent voluptueusement l’immense tristesse de la joie. Au lointain, ils entendent parfois de légers murmures, des chants