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un animal qui produit des mots, comme vous et moi. Pour en faire de belles et bonnes épigrammes, il suffirait qu’il sût, comme dit Boileau, les orner de deux rimes.

— Et encore ne faudrait-il pas l’en défier, dit Bergeroo. Car l’éléphant, si bon pour les tout petits, fait tout ce qu’il veut, notamment le ménage, et il possède foncièrement cet instinct de l’ordre et de la symétrie qui est le caractère essentiel du poète ! »


XCVIII. — ENFANTILLAGE

Deux invalides, le sergent Picquenard et son camarade Gachet, se promènent devant leur hôtel, sous un torride soleil de juillet, qui suffirait à griller les lézards et à les cuire à point, mais qui réchauffe agréablement le sang de ces vieux braves. Picquenard avait seize ans en 1798, lorsqu’il a fait ses premières armes à la prise de Fribourg, sous le maréchal Brune. Aujourd’hui, il est centenaire ; sa tête sans dents et sans cheveux est devenue noire comme celle d’un mulâtre ; ses sourcils sont épais et longs comme des broussailles, et sa jambe réelle est devenue si semblable à sa jambe de bois, qu’on ne les reconnaît plus l’une de l’autre. Calciné en Égypte, adoré en Allemagne, fusillé en Espagne, gelé en Russie, ce fantassin à la peau de crocodile a été tanné et gaufré de façon à vivre toujours. La profonde balafre