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prétexte le plus frivole, et pour lui entrer dans le cœur les mille aiguilles de la cruelle ironie. Il suffirait de les regarder tous deux pour voir que le jeune homme est parfaitement innocent, et que la dame le torture à plaisir ; mais plus il proteste de sa franchise fidèle, plus elle l’accable d’inventions sans queue ni tête, en l’aveuglant avec ses yeux d’or, et avec les roses et les blancheurs de son méchant sourire.

À ce moment paraît dans l’allée une femme presque en haillons, coiffée d’un mouchoir, qui évidemment a été belle, fêtée, adorée, et qui est retombée violemment dans l’enfer des pauvres. Elle voit la scène, et marchant droit à madame de Lammers :

— « Ah ! lui dit-elle avec l’effroyable sérénité des êtres qui savent tout, ne tourmentez pas un homme qui vous aime ! C’est si court, la vie, et on s’imagine que ça ne finira jamais ! J’ai eu, moi aussi, des hommes agenouillés devant moi ; et l’amour, je me figurais que ça ne s’use pas, qu’il y en a toujours ; je ne m’en souciais pas, je le dédaignais, je faisais la petite bouche, et à présent — j’en prendrais sur la tête d’un teigneux !


XCVI. — LE FESTIN

À une table immense dont on ne voit pas les bouts, le festin est servi sur une nappe blanche comme la neige, où éclatent les cristaux, les argenteries, les surtouts d’or