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rose, le font ressembler à une libellule. Guy fume un énorme, un invraisemblable cigare d’un jaune verdâtre qui, lui-même, semble fatigué par les veilles, et il regarde son malade avec une indifférence qui, à force d’intensité, devient touchante.

— « Eh bien ! cher ami, que pouvez-vous pour moi ? dit tristement Paul Héras.

— Peuh ! fait dédaigneusement le jeune praticien, entre nous, cher, l’hygiène, les soins, la distraction, voilà le fond de l’affaire ! Pourtant, si vous avez du goût pour une médication quelconque, ne vous gênez pas. Le bromure et le salicylate sont fort à la mode, et je connais de fort honnêtes gens qui sont fous des piqûres de morphine. Ou bien, avez-vous envie d’aller à quelques eaux thermales ? Oh ! mon Dieu ! n’importe lesquelles ; je ne suis pas là pour vous contrarier. Mais avant, de partir, vous viendrez à ma crémaillère ; on inaugure mon petit hôtel ! Oh ! cher, quel amour ! Pas un meuble. Rien que des tentures, des tapisseries, des éventails et des brûle-parfums. Et je reçois mes malades, non dans un cabinet de travail encombré de livres, mais dans un boudoir vert-pomme où il y a un aquarium en glaces roses, avec des poissons chinois : est-ce assez moderne ! Oui, vous verrez ! à moins que d’ici-là… Mais, au fait, pourquoi diable ne guéririez-vous pas ? Les maladies ne sont pas si méchantes qu’on les fait, et il n’y a pas de raison pour qu’elles ne se guérissent pas… si on les laisse tranquilles !