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demeure dans la forêt, et lui-même ressemble à un vieil arbre. Depuis cinquante ans, il n’a pas fait autre chose que d’abattre des arbres ; sa pâleur est verte, sa barbe taillée comme celle d’un chef grec devant Ilios a pris des aspects de feuillage et de mousse, et ses yeux résolus, épouvantablement clairs, sont comme les échappées de ciel dans la forêt.

Après avoir marqué de l’œil dans le pré voisin l’endroit où le pin devra tomber, Pédroleau l’attaque à grands coups de cognée, ouvrant des entailles sûres, enlevant les morceaux de chair avec une absolue précision ; l’âme du pin gémit, crie, se plaint horriblement ; mais l’impitoyable vieillard frappe toujours. Bientôt l’arbre s’affole, une dernière fois lève ses bras désespérés, et lancé dans l’air, vient tomber exactement à la place qu’a choisie Pédroleau. Et lui, le vieux, tant de fois mordu et souffleté par les orages, par le vent, par la bise glacée, il est droit comme le grand arbre à la sombre verdure l’était encore tout à l’heure, et comme lui, il attend, les pieds agrafés au sol, le fatal instant, l’autre Bûcheron, et l’inévitable cognée.


LXXXVII. — IDYLLE

Les oies marchent en troupeau, irrégulièrement, levant leurs becs orangés, ébauchant des mouvements dont elles ont tout de suite oublié la cause, et faisant des plans