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LXXXII. — INTÉRIEUR

Le poète Henri Zandre s’en était allé passer quelques jours à la campagne, et il avait dit qu’il ne rentrerait pas chez lui avant le premier août. Mais le matin du 28 juillet, il a éprouvé un tel besoin de revoir sa maison, ses livres et ses poèmes commencés, qu’il a brusquement quitté Barbizon et la forêt. Il vient de rentrer, et il s’apprête à rouvrir les croisées, comme Hernani au cinquième acte, lorsqu’il entend le tumulte et le bruit d’un étrange tohu-bohu.

En effet, comptant sur son absence, les gens de la maison ont pris du bon temps et, sans se soucier de ses convenances à lui, se sont mis à l’aise. Un poète, chinois, peint sur la lampe émaillée, vêtu de robes de crêpe avec un surtout de soie lilas pâle, et portant sur sa calotte le bouton de rubis, est descendu, et assis sur un coussin, écrit des vers avec son pinceau. Des dames japonaises aux nombreuses robes et aux épingles d’écaille ont quitté les crépons et causent sous des rideaux relevés par des cordons d’or. Les fleurs du velours d’Utrecht nacarat qui garnit les meubles ont glissé hors de l’étoffe, et se sont mises à fleurir dans le tapis. D’un tableau en soie s’est élancé un fleuve dont les flots tracés en sèches lignes d’or sont habités par des poissons verts, et ce fleuve coule devant une bibliothèque en écaille feu. Sortis de la gravure