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des tapis de safran, d’écarlate, de pourpre violette ; des nuages comédiens y jouent pour lui des tragédies de Shakespeare, et montées sur leurs hippogriffes, des guerrières en armures de cuivre rouge rompent des lances en son honneur. En songeant aux futures batailles et aux grands festins qui se succéderont chaque jour dans ses palais, Robert éprouve le besoin de s’appuyer sur une épaule, de conter sa joie à quelqu’un et d’opprimer un confident résigné. Causer avec les maisons lui semble assez grandiose, et il y songe d’abord ; mais les maisons, en proie à une démence furieuse, s’enfuient d’une course effrénée, et pareillement les candélabres à gaz, les tramways, les omnibus, les fiacres eux-mêmes emportés avec une rapidité diabolique. En vain l’étudiant les menace de les arrêter et de les conduire au poste ; ils n’en ont cure, et s’évanouissent dans le vague horizon. Les cheminées, les toits, le ciel, les nuées que pousse un fouet cinglant s’envolent aussi, et les passants, qui filent projetés au loin, comme la flèche que lance un arc solide.

Cependant, Robert Vic finit par en attraper un. Sans se laisser étonner par son uniforme et par le sabre-baïonnette qui pend sur son flanc, il le saisit, l’enlève comme un enfant dans ses bras d’Hercule, et le serrant précieusement sur son sein, comme une Nymphe sa corbeille de fleurs, il court, lui aussi, comme des candélabres à gaz et comme les maisons, et porte au poste de police le plus voisin — le sergent de ville !