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terre, devant cette créole que le grand Paris courtise, est couchée nue sa suivante favorite Lyzie, cette belle fille de couleur, jaune comme l’ambre, dont les lourds cheveux dispersés font autour de sa tête une nappe noire. Josèphe pose sur ce tapis vivant ses pieds chaussés de bas roses, et, tout en fumant une cigarette de tabac indien, boit à petites gorgées un breuvage pimenté, composé par sa vieille négresse Hébé, aussi savante que Locuste.

Cependant, lorsqu’elle a replacé son verre sur le guéridon d’ivoire, elle reprend, parfois tout bas et parfois à voix haute, la lecture du livre. C’est l’effroyable roman nouveau, le volume terrifiant et sadique récemment paru, qui fait frémir les naturalistes épouvantés, et dans lequel un audacieux chercheur, qui ne recule devant rien, a cru peindre l’âme des courtisanes.

— « Eh bien ! dit Josèphe dédaigneuse en fermant le livre, décidément les auteurs sont innocents !

— À en pleurer, murmure Lyzie, d’une voix lente et musicale.

— Oui, dit Josèphe, c’est des cerveaux intérieurement tendus de soie blanche ! Mais que leur arriverait-il à ces pauvres êtres ingénus, s’ils pouvaient pendant une minute entrevoir seulement ce que nous pensons ? Ne deviendraient-ils pas sourds et muets d’étonnement, et ne seraient-ils pas alors changés en oriflans à sept pattes et en crocodiles bleu de ciel ? »