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LXIII. — PLAISIRS D’ÉTÉ

La baronne Edmée a longuement médité son coup et choisi l’heure où elle tendra ses filets. Elle sait que sa plus intime ennemie, la marquise Thaïs, a un très grand pied, comme la Vénus de Milo et comme la reine Berthe, et par avance elle savoure la joie de l’humilier devant la comtesse Hermine et la comtesse Jeanne. À Étretat, par une après-midi d’été où le soleil tache d’or les lames des persiennes baissées, dans le chalet de la comtesse Hermine d’où l’on entend chanter la mer, les quatre femmes sont à demi couchées sur les divans de soie du boudoir rose, et avec une astuce infernale, Edmée amène la conversation sur ces jolies gouaches du dix-huitième siècle où de roses Eglés comparent la blancheur de leurs seins et la finesse de leurs jambes. Enfin, elle parle de comparer les pieds, jette sa pantoufle, et dans le bas d’un bleu pâle montre le plus joli tout petit pied qui se puisse rêver.

Après elle, Hermine et Jeanne font voir aussi des pieds chaussés de soie qui n’ont rien de vulgaire, et voilà donc enfin le moment venu où la marquise Thaïs va subir une angoisse cruelle ! Mais Thaïs ne se trouble pas, car elle sait tout ce que la très jolie Edmée porte sur sa tête, et comme le coiffeur y entasse les boucles brunes achetées chez le marchand de Cheveux pour Dames. Et