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noire qu’emporte une course échevelée, et en entendant hurler dans la nuit les meutes de l’épouvantable chasseur Amour !


LXII. — LES PETITES FEMMES

Dans l’avenue Trudaine, entre chien et loup, mais plus près du loup que du chien, marchent, en se tenant par la main, trois épouvantables fillettes, déjà vicieuses comme des femmes. Elles se carrent, jouent de la prunelle, et jettent autour d’elles des regards provocants.

Toutes trois, elles sont vêtues de haillons bizarres, mais avec mille recherches. Phrasie a un ruban rose au cou ; Tapon est en chapeau ; elle a attaché à son chapeau une plume qu’elle a ramassée au coin de la borne, et Coqueluche a fourré ses petites mains dans de longs gants de Suède. Un vieillard rasé, décoré, à la démarche furtive, les aborde, leur parle bas, et elles se mettent à rire orgueilleusement, se croyant de vraies demoiselles. Mais passe, avec son paquet sur le dos, car elle est trop pauvre pour avoir une hotte ! la vieille chiffonnière Simon, ridée, noire, centenaire, dont le vent fait voler la grande mèche toute blanche. Elle lève au ciel son crochet indigné, et regardant le monsieur bien en face, hurle comme une louve dans le crépuscule, avec sa voix tragique :

— « Chiffons à vendre ! »