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Sache ceci : tant que notre salut dépend de quelqu’un, et que nous n’avons pas la langue coupée, rien n’est perdu. Il y a un an, Gringoire, ce roi qui te parle à présent, où était-il ? Tu t’en souviens ? à Péronne, chez le duc Charles. Prisonnier du duc Charles. Prisonnier d’un vassal intéressé à sa perte, violent, ne sachant lui-même s’il voulait ou ne voulait pas le sacrifier : c’est ce qu’on éprouve dans les commencements obscurs des grandes tentations ! Qui voyait-il autour du duc ? Ses ennemis à lui, des transfuges ! Son geôlier voulait se croire offensé. Pour logis de plaisance, il avait une tourelle sombre où avait coulé le sang d’un roi de France, assassiné par un Vermandois ! Son or ! on le croyait si bien perdu que ceux par qui il l’envoyait à ses créatures le mettaient dans leur poche. Rien ne pouvait le tirer de là, que sa pensée agile ; mais, dieu merci ! Il a pu parler à son ennemi, et le voici là, redouté, vainqueur, maître de lui et des autres, et prenant ses revanches. Et toi, Gringoire, toi qui as goûté le miel sacré, tu as à convaincre qui ? Une enfant, une fillette capricieuse, une femme, un être variable et changeant qui se pétrit comme de la cire molle ! Et tu as peur !

GRINGOIRE.

Oui.

LE ROI.

Et tu trouves plus facile de mourir !

GRINGOIRE.

Oui, sire. Car si je parle, comme vous le voulez, à cette jeune fille inconnue, je sais bien ce qui arrivera. Elle se mettra à rire à gorge déployée, comme la jeune Diana de la forêt du Plessis.

LE ROI.

Elle ne rira pas.

GRINGOIRE.

Alors, elle pleurera, comme la mendiante. C’est l’un ou l’autre. On ne m’aime pas, moi ! Et je n’aimerai plus.