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Les traits spirituels et la transition,
Et ne peut même aller voir l’Exposition.
Car je n’irai pas ! Corps en proie à la névrose,
Pâture du journal, vil forçat de la prose,
Je dois, par ce beau temps, me barricader au
Logis, au lieu d’aller voir le Trocadéro !
Ah ! j’ai rêvé souvent en ce siècle fantoche
De me trouver un jour libre, ayant dans ma poche
De l’argent pour pouvoir engager des paris,
Ô poëte, et de faire… un voyage à Paris !
Semblant venir de loin par un vain simulacre,
Je monterais avec des colis dans un fiacre,
Et de mes Dieux jaloux abandonnant l’autel,
Je me ferais alors conduire au Grand-Hôtel.
J’ai fait ce rêve. Ainsi qu’un Triton dans ma conque,
Je feignais d’arriver d’une gare quelconque,
Je fumais un londrès, j’avais l’air d’être Anglais,
Serré dans un faux-col de marbre où j’étranglais,
Et comme on voit le chêne environné de lierre,
J’avais sur la poitrine un sac en bandoulière !
Oui, dans ce songe heureux, mon esprit se complaît.
Coiffé d’une casquette et vêtu d’un complet,
Je souris, je m’assieds dans la chambre où l’on dîne
À côté d’une miss blanche comme l’Ondine,