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LES EXILÉS

Par l’orgueil de la pourpre en feu, par le délire
Du glaive, par la joie immense de la Lyre,
Par les fureurs d’Éros, jaloux de nos autels,
Qui triompha d’unir à des hommes mortels
Les Déesses des cieux à leur sang infidèles,
Et de même d’unir à des femmes mortelles
Les Dieux, de qui naissaient alors, jouet du sort,
Des enfants beaux et fiers, mais sujets à la mort.
Non ! tu voulus aussi nous voir mourir nous-mêmes !
Car tu gémis sur tes destins, et tu blasphèmes
Amèrement tes Dieux, s’ils n’ont suivi tes pas
Dans la nuit, et subi comme toi le trépas.
Donc, chassés par ta haine, et pour que tu nous pleures
Dans ton cœur, nous avons fui nos belles demeures
Pour l’exil ; nous avons, loin de nos clairs palais,
Subi l’affreuse mort, puisque tu le voulais !
Et, nous ta vertu, nous ton délice et ta gloire,
Emportés loin des cieux jaloux par l’aile noire
De l’orage, fuyant dans la brume des soirs,
Fantômes éperdus qu’en leurs longs désespoirs
Suivaient sinistrement l’insulte et les huées,
Nous flottions, errants, dans le frisson des nuées
Et des fleuves, dans les forêts et sur les monts
Sourcilleux ; les méchants nous appelaient démons,
Et, frappés comme nous de ta haine si lourde,
Le ciel était aveugle et la terre était sourde.
Mais, sois béni ! voici qu’en des âges plus doux
Les poètes nouveaux ont eu pitié de nous !