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LES EXILÉS

Où nul abri ne peut servir au daim timide,
Où, sous le verdoyant gazon toujours humide,
La terre boit toujours du sang frais, où la mort,
Toujours prête et jamais lassée, égorge et mord
Et dévore la vie, et comme elle fourmille.
Élevons-le plutôt, nous serons sa famille.
Sous l’ombrage, écartant les rameaux querelleurs,
Ils lui firent un lit de feuilles et de fleurs,
Et sous ses boucles d’or, doucement protégées,
Ils mirent des toisons de bêtes égorgées.
Les louves, s’avançant vers lui d’un pas hautain,
Léchaient pour le polir son visage enfantin ;
Les lionnes voyant qu’il était fier comme elles,
Sur sa bouche de rose abaissaient leurs mamelles ;
Les gueules aux crocs blancs, ces fournaises de feu,
Baisaient le petit roi frissonnant du ciel bleu.
Des serpents, s’enroulant sur sa gorge ivoirine,
S’étalaient en colliers vermeils sur sa poitrine ;
D’autres, tordant leurs nœuds en soyeux annelets,
À ses jolis bras nus faisaient des bracelets,
Et comme un Pharaon d’Égypte en son repaire
Il avait pour bandeau royal une vipère.
Tout ce qui sait combattre et détruire et briser
L’enveloppait ainsi d’un immense baiser.
Le Dieu, passant de l’une à l’autre en ses caprices,
Buvait avidement le lait de ses nourrices,
Tout joyeux d’assouvir ses rudes appétits
De héros, ne laissait plus rien pour leurs petits,