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le sang de la coupe

Que dans les noirs bûchers pleins d’horribles murmures,
Flamboyants échafauds qu’un dieu foudroie en vain,
Les guerriers entassés brûlent dans leurs armures,
Ainsi que des parfums dans un vase divin !

Que le vieillard, pareil au cadavre livide,
S’enfuie avec délire, une blessure au flanc,
Et, tendant ses deux mains, cherche sa maison vide
Qui fuit devant ses yeux aveuglés par le sang !

Que tout, jusqu’au tumulte, avec le feu s’éteigne
Dans la sombre fumée, aux aboiements des chiens,
Et que le Simoïs, qui sanglote et qui saigne,
Répète seul le nom de Troie et des Troïens !

Que l’Asie, opulente et superbe naguère
Et dont chaque palais recélait un trésor,
Soit un désert funeste, où vos coursiers de guerre,
Paîtront parmi les champs avec des harnois d’or !

Emplissez de néant ces plaines criminelles !
Mais de meurtres couverts, guerriers victorieux,
Gardez le souvenir des choses éternelles,
Dans vos combats humains n’égorgez pas les Dieux !

Aux souffles des zéphyrs, que la sage Aphrodite
Vénérable aux mortels, sentant ses pleurs taris,
Puisse oublier l’effroi de la guerre maudite,
Et s’égarer pieds nus dans les chemins fleuris !