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le sang de la coupe

Énervantes langueurs de mes heures fiévreuses,
Puisque rien désormais ne vous peut endormir,
Pour noyer dans le flot des plaintes douloureuses
L’anéantissement dont je me sens frémir,
Je puis pleurer, je puis souffrir, je puis gémir
Et savourer du moins ces voluptés affreuses.

Mais la voix répondra : Tes chênes chevelus
Sous lesquels résonnaient ta prière et tes armes,
Sont tombés ; tout est mort, les temps sont révolus !
Le Désespoir aussi te refuse ses charmes.
Tu ne souffriras plus ! tu ne pleureras plus !
Car tu n’as plus de sang et tu n’as plus de larmes.

En fuyant vers l’azur à tes yeux interdit,
Ainsi te parlera ta conscience intime.
Et maintenant, bouffon que l’Érèbe applaudit,
Pitoyable assassin de l’aigle au vol sublime,
Toi qui fais de l’Amour ta première victime,
Monstre libidineux gorgé d’or, sois maudit !

Ainsi parlait Cypris avec le vent qui brame,
Quand ses cheveux épars mordaient le ciel en feu.
Elle hurlait, pareille au loup que l’ombre affame,
Ses imprécations déchiraient l’éther bleu,
Et toi, tu gémissais à ces cris de la femme,
Ô Nature éternelle, ô corps sacré de Dieu !