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le sang de la coupe

C’est de faire frémir sous le soleil des rois
Ces plaques, ces cordons, ces écharpes à frange,
Étoiles et colliers d’une splendeur étrange,
Crachats de pierrerie éblouissants et froids,
Ces riches arcs-en-ciel, ces rubans et ces croix
Couleur d’azur, de pourpre et de flamme et d’orange !

Surtout, c’est de sentir vivre en bas une foule,
Travailleurs dont le sang et dont la sueur coule,
Artistes, artisans, chantres aux saints trépieds,
Généraux sur Ajax et Marceau copiés,
Tout cela n’étant plus qu’une chose qu’on foule,
Un piédestal immense où l’on pose ses pieds !

Ainsi, les yeux hagards et l’écume à la bouche,
Ils insultent l’Amour dans leurs cœurs pleins de fiel.
Et les vierges, levant leurs yeux bleus vers le ciel,
Disent : Pourquoi livrer à quelque époux farouche
Nos cheveux qu’en jouant l’aile d’un zéphyr touche
Et nos lèvres en fleur, plus douces que le miel ?

Ô ville ! nulle part dans tes architectures,
Sous tes lambris dorés, dans les entassements
De tes toits monstrueux et de tes monuments,
Nulle part tu ne vois, le cœur et les mains pures,
S’unir dans des baisers et des embrassements
Un couple jeune et fort aux belles chevelures.