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le baiser

Et qui brille encor mieux chez nos Parisiennes.
Mon Paris — car il n’est de fête que les siennes —
A les plus clairs regards et les plus douces voix.
Il nous prête ce soir sa parure, et je vois
Des dames, emplissant leurs robes étoffées,
Qui dans leur petit doigt valent toutes les Fées.
Sur leurs lèvres fleurit, si l’on osait oser,
La possibilité divine du baiser ;
L’immense enchantement de leur prunelle tombe,
Et moi, qui garde encor ma blancheur de colombe,
Je me pendrais, à l’heure où s’éveillent les nids,
Comme on pend les filous dans les États-Unis !
Pas si bête ! Je veux effroyablement vivre,
Ne pas quitter ce monde avant que j’en sois ivre,
Persister comme fait un antique tilleul,
Voir des jours plus que n’en a vu monsieur Chevreul,
Prendre Mathusalem pour mon seul partenaire,
Et célébrer beaucoup de fois mon centenaire.
Voilà mon rêve !

Comme pour conclure.

Voilà mon rêve ! Encore un mot, et j’ai fini.
La Fée est envolée au fond du ciel béni ;
Mais nous ressuscitons une ancienne coutume,
Et l’actrice, qui n’a pas quitté son costume.
Veut revenir, le cœur plein d’un espoir gourmand,
Tresser, en douze vers, son petit compliment.
Donc, s’il vous plaît, avant que son fard ne pâlisse,