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le sang de la coupe

Voici ses régiments superbes et terribles,
Ses clairons, ses tambours, ses jeunes officiers,
Les hussards blancs et bleus, les sapeurs invincibles,
Les dragons revêtus d’indomptables aciers,
Les grenadiers géants, les spahis, les lanciers,
Et les carabiniers aux crinières horribles.

Ô ville, enfin voici tes salles d’opéras
Où l’or, les diamants et le satin ruissellent ;
Là, chaque femme est reine, et les moindres excellent
Par la neige du front et la blancheur des bras ;
Tels, dans un salon clair, sur les fonds de damas
Les camellias blancs parmi l’or étincellent.

Là sous le maillot rose ou l’habit travesti,
Fuoco, Cerrito, Carlotta nous enchantent ;
Dorus et Damoreau, ces harpes, se lamentent,
Et, faisant flamboyer notre cœur amorti,
Lui disent quels oiseaux et quelles flûtes chantent
Dans l’âme de Mozart et de Donizetti.

Ville qu’un souffle émeut et qu’un zéphyr apaise !
Amazone qui prends la guerre pour un jeu
Et qui, penchée au bord du fleuve qui te baise,
Chaque jour dans son onde émiettes quelque dieu !
L’univers voit sans cesse, ainsi qu’une fournaise,
Ton crâne en fusion fumer sous le ciel bleu.