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le sang de la coupe

C’était bien cette ville aux urnes débordées
Qui donne à l’univers ses flammes et ses flots,
Et qui, belle comme Ève et Ninon de Lenclos,
Élève sur le front des villes fécondées
Sa lèvre que rougit le vin et les sanglots
Et son front chevelu d’où tombent les idées.

Sur les coteaux, avec des rires convulsifs,
Comme un beau corps la Ville immense se déroule.
Elle tient à la main son large verre où coule
Un vin plein de folie et de désirs lascifs,
Et s’admire géante, et regarde la foule
Avec ses yeux de gaz flamboyants et pensifs.

Ses grappes de maisons semblent, dans la nuit noire,
Des troupeaux dispersés sur un grand territoire
Que la Guerre a foulé de son pied souverain ;
Et, penchant leurs grands fronts sur le fleuve serein,
Ainsi que des béliers se lèvent avec gloire
Ses mille monuments de granit et d’airain.

Voici ses boulevards où Londres et l’Asie
Viennent au même club chercher la fantaisie ;
Voici ses cabarets, ses tapis baignés d’or,
Ses fiers salons, son bal qui passe au chant du cor,
Et son drame, où le peuple, empli de poésie,
Ivre sous Frédérick haletant, crie : Encor !