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le sang de la coupe

En vain, son front couvert d’augustes cheveux blancs
Brillera, glorieux de savoir et d’années ;
Des fleuves couleront de ses yeux ruisselants
Et feront deux ruisseaux de ses tempes fanées,
Car le désir mordra ses lèvres décharnées
Et séchera les os de ses genoux tremblants !

Enfin, lassé d’étreindre, en ses nuits énervantes,
La science inféconde et la pâle amitié,
Celui-là sentira son cœur crucifié,
Et, brûlé de mes feux parmi ses épouvantes,
Il traînera son front sous les pieds des servantes
Et baisera leur robe en leur criant : Pitié !

Mais elles en courant s’enfuiront dans les saules,
Et riront du vieillard au prochain cabaret
Avec ce beau jeune homme aux puissantes épaules
Qui, dans l’allée en fleur, sous l’ombrage secret,
Marche en blouse et pieds nus comme un enfant des Gaules,
Et dont les noirs cheveux semblent une forêt.

Ainsi parla Cypris. Oubliant leurs querelles,
Les oiseaux se taisaient ; dans les roses pourpris
Les lys ouvraient plus grands leurs calices épris.
Mais elle, fendant l’air comme ses tourterelles,
Elle vola, pliant ses bras comme des ailes,
Au sommet du palais, et regarda Paris.