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le sang de la coupe

Le prêtre méditant son infâme caresse,
Et le pauvre Jehan brisé comme un fruit mûr ;
Quasimodo tout plein de rage et de tendresse,
Masse difforme, ayant en elle de l’azur ;

Et les cloches d’airain chantant dans les tourelles,
Pleurant, hurlant, tonnant, gémissant dans les tours
D’où s’enfuit à l’aurore un vol de tourterelles,
Et disant tes ardeurs, tes labeurs, tes amours ;

Tu ne te lassais pas de ce drame qui t’aime,
Et qui semble un miroir magique où tu te vois,
Ô peuple ! car Hugo le songeur, c’est toi-même,
Et ton espoir immense a passé dans sa voix.

C’est lui qui te console et c’est lui qui t’enseigne :
Sans le courber le temps a blanchi ses cheveux.
Peuple ! on n’a jamais pu te blesser sans qu’il saigne,
Et quand ton pain devient amer, il dit : J’en veux !

Lui le chanteur divin, béni par les érables
Et les chênes touffus dans la noire forêt,
Il dit : Laissez venir à moi les misérables !
Et son front calme et doux comme un lys apparaît.

Il vient coller sa lèvre à toute âme tuée ;
Il vient, plein de pitié, de ferveur et d’émoi,
Relever le laquais et la prostituée,
Et dire au mendiant : Mon frère, embrasse-moi.