Page:Banville - Œuvres, Le Sang de la coupe, 1890.djvu/130

Cette page a été validée par deux contributeurs.
120
le sang de la coupe

Si Scapin fait toujours ses fredaines antiques,
En ce temps sérieux il sait qu’il les paiera,
Joueur de trois pour cent sur les bruits politiques,
Et protecteur des arts le soir à l’Opéra.

Enfin le vieux Paris cache toujours cet antre
Où le pâle Harpagon achète à réméré.
Le père à ce comptoir est souillé dès qu’il entre,
Et le fils qu’il maudit en sort déshonoré.

Non, non, rien n’a changé ! c’est toujours le grand nombre
Pour atteindre aux sacs d’or foulant aux pieds l’amour,
La timide vertu cachée au fond de l’ombre
Et le vice insolent qui s’étale au grand jour !

Dorimène, Angélique, ô belles créatures,
Démons à l’âme froide, à l’œil suave et doux,
Combien ont de grands cœurs étouffé vos ceintures,
Que d’hommes tomberont les yeux levés vers vous !

Sortilège et folie, ô bizarre amalgame !
Cœurs sans cesse tournés vers le fruit défendu !
Combien se sont fiés à l’honneur d’une femme
Et se sont réveillés sur leur bonheur perdu !

Ô problème où se perd la raison révoltée !
Chaos abominable en ces riches accords !
Quand il crut vous donner une âme, Prométhée
Anima seulement le marbre de vos corps !