Page:Banville - Œuvres, Le Sang de la coupe, 1890.djvu/124

Cette page a été validée par deux contributeurs.
114
le sang de la coupe

Enfin, par un lâche avéré
Trompé sans pudeur ni scrupule,
Quand je le vois désespéré,
Georges Dandin déshonoré
Ne me paraît plus ridicule.

Tartuffe et don Juan, tortueux
Jusqu’à la basse apostasie,
M’emplissent d’horreur tous les deux
Avec le sourire hideux
Du vice et de l’hypocrisie.

Et quand je vois le grand moqueur,
Alceste à l’âme surhumaine,
Dont un froid sourire est vainqueur,
La colère me monte au cœur
Contre la froide Célimène.

Molière, privilégié,
Plaisante d’une âme attendrie,
Et c’est au moins pour la moitié
Que la terreur et la pitié
Se mêlent à sa raillerie.

C’est à moi, chantre des douleurs,
De m’agenouiller sur la pierre,
Pour consacrer ces pâles fleurs
Et ces lauriers baignés de pleurs
Sur le front du divin Molière.