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le sang de la coupe

Toi, Polyeucte, viens, nouveau-né du baptême !
Ne songe en t’inclinant, humble, dans le saint lieu,
Qu’à prendre ta patrie avec tout ce qui t’aime,
Pour faire un holocauste à mettre aux pieds de Dieu !

Et, plus nous avancions vers les horizons vastes,
Austères, et toujours pour le bien travaillant,
Chacun, en écoutant nos voix enthousiastes,
Se sentait devenir meilleur et plus vaillant.

Oui, telle fut notre œuvre, ô mon père, ô Corneille !
Et maintenant, où sont les pâles envieux ?
Qu’importent aujourd’hui les douleurs de la veille,
Et ceux qui te mordaient, lion devenu vieux ?

Qu’importe si jadis, lorsque l’âge sinistre
Jetait sur toi son ombre et te glaçait enfin,
Toi dont César-Auguste aurait fait un ministre,
Tu t’écrias un jour : L’auteur du Cid a faim !

Les siècles t’ont vengé, Titan rival d’Eschyle,
Et, lorsqu’ils nommeront tous les victorieux,
Se rappelleront moins la crinière d’Achille
Que tes souliers de pauvre et leurs trous glorieux.

Et moi, pieusement, d’une main ferme et juste,
En disant à nos fils : Comme lui vous vaincrez,
J’ai caché tes haillons sous une pourpre auguste,
Et couvert tes cheveux de ces rameaux sacrés !