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ÉSOPE

Ils ont livré la chair et le sang de ton Roi,
Deux hommes ont vendu la Lydie et moi-même
À la Perse.

(Regardant Orétès en face).

À la Perse. Orétès, menteur à face blême,
C’est toi. C’est aussi toi, Cydias, qui pâlis !
Oui, la terreur est là sur vos fronts avilis ;
Le crime est écrit sur vos faces violettes.

Orétès, balbutiant.

Mensonge !

Cydias, de même.

Mensonge ! Calomnie !

Crésus, montrant les tablettes que Sophion lui a remises.

Mensonge ! Calomnie ! Et voici vos tablettes.
Les reconnaissez-vous ? Malheureux, c’est écrit
De votre main. Car vous aviez perdu l’esprit.
Dans notre sang, par vous promis, votre pied glisse,
Bandits, marqués déjà par l’ongle du supplice !

(À Ésope).

Ésope, c’est toi, cœur sans fiel et sans remord.
Qui diras comment ils doivent mourir.

Ésope

Qui diras comment ils doivent mourir. La mort
Poursuit d’un pas égal ses redoutables tâches
Et, juste en son dégoût, ne veut pas de ces lâches.

Crésus

Oui, tu dis bien. Que sous les grands cieux infinis
Ils s’en aillent, hideux, vils, tremblants, impunis !
Que le vieillard, pensif et doux, chargé d’années
Les écarte, en passant de ses mains décharnées !
Que l’enfant, baissant vers la terre ses doux yeux,
Les regarde avec un effroi mystérieux.
Vrai sage, puisque c’est cela que tu décides,
Que l’onde et que le vent les nomment : Parricides !
Que le soleil, par qui les hommes sont nourris,