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— Mais à ce soir, dit madame de Beauséant en retournant la tête et jetant un regard au marquis. N’allons-nous pas aux Bouffons ?

— Je ne le puis, dit-il en prenant le bouton de la porte.

Madame de Beauséant se leva, le rappela près d’elle, sans faire la moindre attention à Eugène, qui, debout, étourdi par les scintillements d’une richesse merveilleuse, croyait à la réalité des contes arabes, et ne savait où se fourrer en se trouvant en présence de cette femme sans être remarqué par elle. La vicomtesse avait levé l’index de sa main droite, et par un joli mouvement désignait au marquis une place devant elle. Il y eut dans ce geste un si violent despotisme de passion que le marquis laissa le bouton de la porte et vint. Eugène le regarda non sans envie.

— Voilà, se dit-il, l’homme au coupé ! Mais il faut donc avoir des chevaux fringants, des livrées et de l’or à flots pour obtenir le regard d’une femme de Paris ? Le démon du luxe le mordit au cœur, la fièvre du gain le prit, la soif de l’or lui sécha la gorge. Il avait cent trente francs pour son trimestre. Son père, sa mère, ses frères, ses sœurs, sa tante, ne dépensaient pas deux cents francs par mois, à eux tous. Cette rapide comparaison entre sa situation présente et le but auquel il fallait parvenir contribuèrent à le stupéfier.

— Pourquoi, dit la vicomtesse en riant, ne pouvez-vous pas venir aux Italiens ?

— Des affaires ! je dîne chez l’ambassadeur d’Angleterre.

— Vous les quitterez.

Quand un homme trompe, il est invinciblement forcé